Ottoman Diplomats

Monsieur le Ministre, Votre Excellence n’ignore pas le degré d'intérêt que suscitent auprès de l’opinion publique les questions débattées dans la Conférence de Bruxelles. A la suite des accusations lancées par Le Cardinal Lavigerie et colportées tant par la presse clérical que par les organes du parti socialiste, la solution modérée du Chapitre IV ne pouvait que provoquer un déchainement de passions et de colères mal contenues Les propos injurieux adressés au Représentant Impérial ont forcé le Gouvernement Belge à faire insérer dans son organe officieux une note que je me fais un devoir de placer sous les yeux de Votre Excellence ainsi que deux extraits de la presse

socialiste et démocratique de Bruxelles, afin de lui donner une idée du caractère violent de ces attaques, auxquelles bien entendu correspond l’attitude des journaux cléricaux. Je dois ajouter pour la haute information de Votre Excellence que les journaux libéraux ont pris ma défense avec la presse gouvernementale. Votre Excellence trouvera à titre d’échantillon un extrait de « l’Indépendance ». Bien entendu, je me fais un devoir de rester indifférent aux attaques grossières dont nous sommes l’objet, et étranger à toute cette polémique. Le mot d’ordre pour les cléricaux reste toujours que l’Islamisme est le grand défenseur et pourvoyeur de l’esclavage et il faut avouer que l’attitude observée à l’inauguration de la Conférence

la pratique. Mais que M. Carathéodory obtienne des cheiks-ul-Islam [sic] des divers pays musulmans la déclaration formelle qu’ils considèrent la capture violente de l’infidèle et sa vente, par le croyant, comme contraire au droit naturel et au droit divin, ainsi que nous le déclarons en Europe, il justifiera pour l’avenir, à ma très-grande joie, la religion musulmane de l’accusation portée contre-elle, et il fera cesser enfin les horreurs de l’esclavage aujourdhui [sic] acceptées par les représentants temporels et spirituels de l’Islam. »

par les Anglais n’y a pas peu contribué. Quoiqu’il en soit, le résultat obtenu étant satisfaisant, il n’y a pas lieu certainement de s’en préoccuper outre mesure. Reste à savoir s’il ne serait pas utile de mettre fin à des accusations sans aucune consistance réelle et qui menacent de passer à l’état de légendes et d’axiomes inattaquables. Votre Excellence voudra bien se rappeler que le Cardinal Lavigerie, le premier, nous mettait au défi de prouver « que l’Islamisme et l’esclavagisme ne faisaient pas un ». J’avais déjà été heureux de trouver l' affirmation de la thèse que j’avais soutenue dans les différentes réfutations de nos compatriotes musulmans provoquées par l’assertion téméraire du cardinal, « qui ne voulait même pas discuter là-dessus avec un chrétien ignorant la loi religieuse de

l’Islam ». Notre législation sur la matière et les témoignages de collègues et d’amis musulmans que j’ai pu recueillir depuis, me confirment dans cette opinion. Aussi je me demande s’il n’y aurait pas moyen de la faire consacrer définitivement par un témoignage suprême. A cet effet, et si Votre Excellence y donnerait sa gracieuse approbation, j’aurais voulu constater, de par l’autorité du Scheikh-Ul- Islam et sur l’autorisation de Son Altesse : 1° Que le trafic des êtres humains est interdit par l’Islam, qui ne peut être rendu responsable des irrégularités commises en son nom ; 2° que les nègres qui sont enlevés de vive force à leur milieu ne sont pas des esclaves aux yeux de l’Islamisme. 3° que celui-ci répudie, par conséquent, avec

indignation les violences commises en Afrique et qu’il ne permet pas, même aux parent[s] de vendre volontairement leurs enfant[s] ; 4° que ce qu’on appelle "l’esclavage oriental" n’a rien de commun avec "l’esclavage africain" et qu’il n’est en réalité qu’un état de servitude domestique très profitable à ceux qui en sont l’objet. Je me permets de croire qu’une déclaration de ce genre est destiné à produire un grand retentissement. Il appartient à Votre Excellence de juger de son opportunité et de son utilité, Si Elle partageait mon avis, je lui serais reconnaissant de me transmettre Sa réponse avant le 21 de ce mois, date de la reprise des travaux de la Conférence. Veuillez, Monsieur le Ministre,

agréer les assurances de ma très haute considération. De Votre Excellence le très-humble et très-obéissant serviteur Étienne Carathéodory. PS : Dans le nomenclature ci-dessus, je n’ai pas cru devoir mentionner la réduction en esclavage comme conséquence du « Djihad » celle-ci n’ayant rien de commun avec la question débattue. Voici le passage de la lettre citée plus haut du Cardinal Lavigerie : "Je récuse le jugement des chrétiens dans l’interprétation du Coran : ils n’en connaissent pas assez l’esprit et n’en suivent pas d’assez près["].