Hugo Claus

"Dur et solide comme une statue"

Hugo Claus, né à Bruges en 1929,prix Léo Krijn en 1950, Prix triennal pour le théâtre, poète (Trancredo infrasonic, Oostakkerse gedichten, Paal en Perk, etc.), romancier (De Metsiers, De Hondsdagen, de Verwondering, etc.), auteur dramatique (Een Bruid in de Morgen, Het Lied van de Moordenaar, Suiker, (1) etc.), dessinateur (compositions abstraites en noir et blanc), aluchromiste (aluminium d'acides), recherché pour cause de scandales envers la Sainte Mère, Flandre. Croyez-vous que je vais vous passer la comminication directe? Non. Ce malfaiteur est introuvable, ce bandit bien-aimé vit quelque part (en lui-même).

Jacquelinge BALLMAN

Hugo Claus

protégé par une fidèle (et sympathique) maffia qui manie très bien l'arme blanche. Quand vous aurez lu mon article, vous vous demanderez si je ne fais pas partie de l'association secrète et je ne vous le dirai pas. Je l'ignore moi-même.

Qui est Claus ? Une statue de marbre à tête d'empereur romain ? On pourrait songer à la réflexion de la grand-mère de Françoise Gilot, rapportée dans « Vivre avec Picasso » : « C'est extraordinaires me dit-elle, tout en lui est lisse, poli comme un marbre...» Je ne comprenais pas, elle insista : « Mais si, le regard glisse sur lui, il est dur et solide, je t'assure, juste comme une statue. » Qui est Claus ? Ecoutons l'écho. Un copain ? Le poète anvérsois Hugues Pernath trouva amusant, il y a quelques mois, de voler un livre de dimensions anormales. Hélas, son employeur, Ontwikkeling, ne rit pas et profita de l'incident pour mettre le jeune poète à la porte sans préavis. Burssens — si proche déjà de sa mort — entreprit une campagne de l'amitié et Claus y répondit immédiatement en versant une grosse somme en faveur de Pernath. Qui est Claus ? Les jaloux vous diront : un arriviste, un menteur, un bouc. D'autres vous diront, au contraire, que c'est un homme lucide qui connaît les problèmes de l'existence, qui veut vivre, mais qui cherche aussi avec le même courage et la même lucidité la réalité la plus haute. Jan Walravens, dans son journal publié sous le titre, de « jan biorix » (1), raconte que le poète Lucebert (Pays-Bas) désirait se rendre en Allemagne de l'Est.

Claus, quoique désapprouvant son communisme, déclara : "Toute l'expérience communiste me passionne énormément. Mais je préférerais encore me rendre en Chine plutôt qu'en Russie. En Chine, on réalise. Malgré tout je veux aller d'abord aux Etats-Unis".

Jan Walravens commente: "Je comprends Lucebert. Il arrive parfois que l'hypocrisie, la rodomontade, la dégénérescence ce que l'on nomme la monde occidental devienne insupportable. (...)"

Et Clans conclut : "Il reste toujours le "moment". Je veux pouvoir m'accrocher à quelque chose, deux, trois, quatre idées qui nous aideraient à nouveau à vivre."

Voilà un langage humble et honnête. Hedwig Speliers, dans "Wij, Galspuwer" (nous, les cracheurs de bile) (2), dessine Claus avec ces mots: "Alors qu'il n'est qu'une maniéré juste et correcte d'approcher Hugo Claus : son œuvre. Ce que cet homme est ou fait me laisse absolument froid. Dans son œuvre, je trouve ce qu'un journaliste assoiffé de petits échos, aveuglé par son goût de la sensation, sa chasse au détail piquant ne trouvera jamais : l'image du monde d'un homme blessé à jamais par son éducation catholique, écrasé par l'héritage de la morale occidentale."

Dernière cause de scandale : sa littérature est érotique... ses poèmes ne purent être lus devant les micros de notre radio nationale. Là, il faut avant tout oublier lès préjugés que la presse à sensation éveille en nous et lire le poète avec la tendresse que demande la confiance d'une telle confidences si intime et si totalement franche. Le poète face au problème de la vie parle de désarroi :

Désarroi la couleur des roches et pierre la croissance de mes os. Où est l'amour ? Dans le désir, uniquement ? Après la jouissance vient une sorte d'indifférence :

Je voudrais te chanter la mélodie des vergers, Livia.

Mais la nuit s'achève et sans cesse pèse sur ma plaine et la referme et l'étrangle.

Je ne puis t'atteindre qu'insatisfait.

Car la gorge des cerfs se ferme à l'aube.

Toute vérité doit passer par le mot, ce mot que chaque poète scrute avec colère et désespoir, ce mot dont le contenu varie sans cesse comme un insaisissable menteur. Quand on veut connaître l'amour, il faut l'emprisonner dans des mots et tout finalement nous échappe. La solitude totale est au sein du langage.

Fin, vallée abandonnée, vallée de plus personne,

Où donc sont restés, oubliés, les êtres.

Qui me peuplaient en une saison antérieure.

Dans cette ville de bois et de sable ?

...

Fin, novembre, pas de neige encore et pas de gazons

Et pas de chansons.

(Aucun oiseau siffleur dans l'ossature de cette vie ?)

Personne n'est, personne ne fait signe ici.

Dans la vallée, dans le sable muet travaillent.'

Les fourmis et les taupes de la nuit

Qui creusèrit l'intelligence cachée.

Les phrases qui s'abritent.

Et chaque fois, la terre se rappelle au poète, la savoureuse, la délicieuse, la tendre, la désirable terre et l'amour de la femme.

On entend le soir le murmure du sang qui vole vers les femmes.

Dans les dunes où je veille,

Où j'écoute.

Entre les haies de la méchanceté,

Entre les épines de la vengeance,

Les phrases qui rongent sont démantelées, lès voix enflent.

Et s'ouvre le pince de l'impitoyable chuchotement:

"Toujours je t'aimerai ».

Et prie et grandit plus d'une fois

Un noyau amer dans ce crachat

Ecoutez :

"Je caresserai, je salirai, je blesserai ton désir,

Je presserai les lèvres de ta vulve

Comme si je leur parlais".

Les jeunes, jeunes, femmes embaument

Et l'homme plonge, aveuglé

(...) _

(extrait des Oostakkerse gedichten)

Faut-il ajouter quelque chose à cette bouleversante confidence d'un poète si totalement, si douloureusement lucide ? Le seul portrait est dà dedans, les témoignages n'accumulent que dessins hésitants qui, superposés, ne donneraient qu'un portrait tremblé comme des rides sur l'eau qui s'effacent l'une l'autre...

J.B.

(1) Lire, en page 6, la critique de Jean Leirens sur "Sucre", la pièce de Hugo Claus qui vient d'être jouer.

(2) Ed. De Galge, Bruges

(3) Ed. De Galge, Bruges