rencontre avec hugo claus

par luc norin

A quatorze ans, Hugo Claus fuyait déjà, pour la première fois, ses parents et un milieu bourgeois. Il est aujourd'hui, plus que jamais, le poète de la liberté et de la violence, de la liberté par la violence. A travers ses essais ou son recueil de nouvelles, ses cinq romans ou ses sept pièces de théâtre, dont nous connaissons surtout La Fiancée du Matin, ou Sucre, il demeure ce poète, il en approfondit la tessiture. Ce Flamand est avec Simenon le Liégeois, l'auteur belge le plus célèbre internationalement.

Hugo Claus enfonce dans un large fauteuil sa lourde masse rocheuse. Il sort de là une voix calme, posée comme des rails de chemin de fer.

Il dit :

— Je ne conçois pas une poésie qui ne soit pas révolte. Le sont même les poèmes les plus anodins; même un poème chinois reflétant la joie de vivre dans un petit jardin possède, en soi, de la dynamite. La vraie poésie est ainsi.

Pour Claus, la vraie poésie, c'est aussi, c'est d'abord, peut-être, Thyl Ulenspiegel. On joue de lui, en ce moment, au Théâtre National, une pièce qui porte ce nom. Pour dire vrai, c'est la troisième de ce nom écrite par Hugo Claus. La première avait été composée pour un spectacle d'une centaine d'étudiants fêtant le soixante dix-huitième lustre de l'Université de Leyde.

— J'ai pensé que c'était le moment de faire les choses en grand, ce que j'ai appelé les « Folies Bergères » de l'intellectuel !

Puis, il y eut une deuxième version dans laquelle Claus n'avait fait que reprendre le thème de Charles De Coster pour le forger à sa manière.

— On peut prendre avec Ulenspiegel la même liberté que Charles De Coster lorsqu'il écrivit son roman à partir de mythes anciens. Il avait choisi d'établir les circonstances historiques autour de Charles-Quint, alors qu'il aurait pu aussi bien les établir dans son temps à lui. Ainsi, j'ai le droit de prendre les choses intéressantes de son livre pour faire tout autre chose. Ma deuxième version situe Ulenspiegel en 1985, c'est-à-dire dans une vingtaine d'années. Il y est confronté avec une Flandre fédérale qui, dans mon hypothèse, aura un règne de despotisme, de nationalisme et de cléricalisme. C'est-à-dire un despotisme qui va s'allier avec une chose plus bête encore, la commercialisation de toutes les valeurs.

On y voit Ulenspiegel d'abord beatnik puis terroriste. Mais cette version sera créée par une troupe flamande. Elle n'a rien à voir avec la version numéro trois, adaptée en français par Jean-Claude Huens, mise en scène par Pierre Debauche et donnée au National par trente-cinq comédiens assumant deux cent quarante-quatre rôles.

Claus, ici, suit fidèlement De Coster, mises à part quelques scènes dernières où, par exemple, les sept vices changés en vertus l'épouvantent par leur tiédeur mesurée.

— Je crois que tous les personnages de De Coster sont des idées, dit Claus. On ne s'interroge pas sur leur psychologie profonde. Ce sont des projections, merveilleusement concrètes, de ses idées personnelles. Mais on n'y trouve pas la matière normale d'un roman, disons russe ou victorien. Ce serait plutôt Gogol. De toutes façons, Ulenspiegel, c'est l'incarnation de la révolte, c'est le corps de la poésie. Je ne crois pas que cela change. Les circonstances de notre vie changent. Aussi, le personnage d'Ulenspiegel est valable en tous temps. Il n'est pas exclu que, vers la cinquantaine, ou quand j'aurai quatre-vingts ans, je n'écrive pas encore trois ou quatre versions sur ce thème !