AINSI PARLE HUGO CLAUS :

Sacha PITOEFF jouera ma pièce à` l'Œuvre

LE Sélect-Montparnasse. 15 heures. Hugo Claus. D'abord Hugo Claus, connais pas. C'est un jeune écrivain flamand. Rien lu de lui. Sacha Pitoëff va monter une de des pièces au Théâtre de l'Oeuvre. Vais-je seulement le comprendre? Mais le rendez-vous à Montparnasse est plaisant non pour son côté "historico-artistique", pour son air province et démondé.

"Vous m'avez reconnu? Comment avez-vous su alors que c'était moi? Ah! le garçon! Très bien. (C'est un immense gaillard, blond, bouclé, qui roule doucement les R, plus un accent étranger) Non, vous ne connaissez pas mon livre "Jour de canicule" (1)? C'est le second. Vous ne connaissez pas non plus le premier traduit en fraçais? Son titre? "La Chasse au canard" Le sujet? Oh! je ne vais pas le raconter! Cette chasse se passe à la campagne, dans les Flandres, parmi une famillie de paysans. Survient un Américain. Vous comprenez bien ce que je dis? Je parle très bien le français? Mais non! "La Chasse au canard" a été traduite en quatre langues: Oui, j'écris en neerlandais. Ca ne vous suffit pas comme renseignements ? Vos interviews sont très cruelles, je trouve. A cause de votre choix des mots, des phrases, des répétitions. (Je pense, hèlas, qu'il exagere.) Où se passait le deuxième livre? A Gand. Si j'a ai vécu? Oui, j'ai même été peintre en bâtiment. Mais n'en parlons pas, ce genre de vie est très expérimental, très américain. Expérimental, vous ne comprenez pas? Eh! bien, c'est américain aussie comme terme. Non, je ne savais pas peindre, mais plus on allait haut, plus c'était dangereux, plus on était payé. Et moins on peignait! Je ne suis pas de Gand, je suis d'Ostende. J'ai vécu à Rome, trois ans. J'étais correspondant de journaux flamands. Quand? Il y a quelques années. Mon âge? Vous croyez que j'avais trente ans? Non, vingt-six. Et à l'époque de mon premier livre? Dix-neuf. (Une grane jeune femme blonde, longs yeux clairs, arrive et repart.) Ma femme. Elle est Hollandaise. Je suis marié depuis un an. oui, vous la trouvez belle? Je trouve aussi. Pourquoi je suis descendu à Montparnasse? Parce qu'un ami nous a preté son appartement. Nous ne devons pas rester longtemps. Je ne suis là que pour voir Sacha Pitoëff et parler de "La Fiancée du matin". Il s'agit de l'amour d'une soeur pour son frère. C'est Carmen Pitoëff qui sera la soeur. Je voudrais qu'elle coupe ses cheveux. Comme vous. Mais elle tient beaucoup à sa riche chevelure espagnole! Comment j'ai écrit aussi tôt? Oh! j'ai eu une ancienne formation. A dix-huit mois, j'étais pensionnaire dans un collège religieux - mon grand-père était inspecteur - à quatre ans, je faisais ma prmière communion. A onze ans j'estimais avoir appris trop de choses etje me suis enni en Allemagne. J'étais grand et fort. Je faisais -déjà- plus vieux que mon âge. J'ai travaillé dans les champs. Au bout de six mois, on m'a récupéré. Je suis reparti à quinze ans. Mon père? Imprimeur. Moi aussi j'ai travaillé dans une imprimerie.

C'est un éditeur qui m'a demandé mon premier roman. Je l'ai écrit en un mois. Il était noir - ce qu'on m'avait demandé - mais beaucoup trop paraît-il. L'éditeur a voulu me donner cinq cents francs belges, j'ai refusé et gagné les 25.000 francs - encore belges - du prix Kryn. Après? Je me suis arrêté. J'ai travaillé dans une sucrerie du Nord de la France, à Chevrières. Comme manœuvre. Les ouvriers n'ont qu'une possibilité : boire. J'ai vu pas mal de crises de delirium tremens, alors j'ai écrit une nouvelle: "Sucre."

Ho ! How do you do ? (Un grand Américain vient de s'arrêter devant notre table.) C'est curieux. J'ai rencontré cet homme, à la Biennale de Venise, c'est un peintre, je crois. Mais je ne le connais pas. Vous aimez les pentres? Oui? J'ai beaucoup d'amis parmi eux. Ils se prennent un peu moins au sérieux que les écrivains, ils sont plus simples. Et puis ils savent faire quelque chose de leurs mains! Ils font très bien la cuisine. J'ai un ami pour qui bien faire les spaghetti, c'est ne plus retrouver du tout leur goût. Et puis les peintres sont menteurs. J'aime les menteurs. Est-ce que je le suis? Oui. (Ce qui est comique c'est qu'il a rougi.) Mais je ne vous mens pas je vous assure. Maintenant, ce que je vais faire? Repartir pour la Belgique, chercher une maison au bord de la mer près d'ostende. Pourquoi pas à Rome? Vous savez, Rome, c'est un grand matelas. Au bout de six mois, on s'y endort définitivement. Vous ne voulez pas qu'on aille dans un bar maintenant? (On y est allé et on a parlé d'autres choses. Par exemple de "l'inconscient général", de la transmission de pensée, de Roger Blin, de Godot et de Beckett. Il leur accorde plus de valeur que moi. Ce qu'aime encore Hugo Claus? Eh! bien, bavarder! Plutôt deux heures q'une.)

Michèle PERREIN.

(1)Fasquelle, éditeur.